Super 8
Du temps de mes grands-parents, l'essentiel des souvenirs se figeait sur le papier d'une photo jaunissante. J'en ai vu des cliché familiaux, les enfant souvent maintenus sur le canapé avec les habits du dimanches bien repassés, les adultes guindés au possibles et se sentant garants de l'image qu'ils allaient perpétuer.
J'avais une idée fausse de mes aïeux. Celle de ces photos vues souvent à la dérobée voire celles des récits de ces enfants de l'époque devenus aujourd'hui mes parents, oncles et tantes : des adultes avec des souvenirs teintés de tant de ressentis.
Je n'ai pas assez connu mes grands-parents. J'en avais une image fausse, celle d'une petite fille qui aimait bien sa mamie-gâteaux qui avec ses rondeurs la faisait sauter sur ces genoux et de ce papy calme et distant, impressionnant par son parcours qui me paraissait presque héroïque. A l'adolescence, je les voyais vieillir et il ne restait que les robes à fleurs désuètes de ma grand-mère et les pantalons qui remontaient jusqu'en haut du ventre de mon grand-père. Les repas familiaux aussi qui n'étaient qu'une corvée de plus : celle où chacun oscillait entre non-dit et règlement de compte. Et nous ne pouvions jamais échapper, nous les petits-enfants, à cette sacro-sainte photo, bien habillés, bien coiffés, sur le canapé, tels des trophées qu'il faudra montrer à la voisine comme pour occuper les journées trop longues de ces retraités bien vite oubliés.
Et j'ai reçu sans crier gare des DVD sur lesquels ont été gravés pour moi des films en Super 8 fait à l'époque où mon père jouait à la petite voiture. Et j'ai regardé ces films des heures et des heures, avec pour bruit de fond ma nouvelle famille, recomposée qui chahutait sous les tentes plantées dans le couloir à l'étage.
Et j'ai découvert un monde fait de joie simples. J'y ai retrouvé des hommes et des femmes très élégants, heureux, en vacances ou faisant la fête. Celle qui deviendra plus tard ma grand-mère était d'une élégance rare, heureuse de sa maternité, de cette famille qu'elle semble avoir construit dans la discrétion la plus totale, douce et classe. D'un autre temps déjà peut-être ? Puis celui que je n'ai connu qu'avec des cheveux grisonnants était un bel homme fringant maniant aussi bien le cigare que les crapahutages avec ses enfants à ramasser des coquillages sur une plage bretonne. Un grand-oncle et une grande-tante éperdument amoureux, et des enfants choyés, s'amusant en véritable tribu dans le jardin de la luxuriante propriété de banlieue parisienne.
Lorsqu'ils sont partis, j'ai cru que mes grands-parents étaient passés à côté du bonheur auquel j'aspirais moi-même. Je m'étais trompée. Ces films ont bousculé mes souvenirs et perturbé l'image que j'avais de l'histoire de ma famille. Je regrette aujourd'hui de les avoir croisés sans les avoir réellement connus, sans avoir perçu la part d'humanité qu'ils avaient en eux. Ils n'étaient sûrement pas parfaits mais il ne méritent pas non plus d'être jugés.
Ce film, c'est ma cousine qui attend un bébé qui me l'a envoyé. Elle sera la première des petits-enfants dans la famille à donner la vie, à faire place à une nouvelle génération. Ce film, c'est mon oncle qui l'a gravé pour moi sur ce DVD et cela a un sens tout particulier ces jours-ci… Ce film, est un merveilleux cadeau qui m'aide à me réconcilier avec mes racines, élément indispensable au développement de l'arbre que j'entretiens chaque jour.
Merci à tous les deux ...