Sujet tabou
Pourquoi ne pas en parler ?
Pourquoi lorsque je tente d'aborder le sujet, je sens parfois une gène, voire même un certain mépris ?
Et bien oui, aujourd'hui encore, je suis allée à la pharmacie acheter mes antidépresseurs pour le mois.
Je n'ai jamais voulu en arriver là. Moi qui prône l'acceptation de la maladie, l'auto-médication et les médecines douces, il a fallu un jour me rendre à l'évidence : j'avais besoin de ce soutien, de ces médicaments.
Cela remonte à loin, vouloir montrer une Miss Line heureuse, souriante, qui va de l'avant, tout en tentant de gérer des agressions quotidienne. J'en étais arrivée à faire obstruction du passé, ne plus avoir de souvenirs et être incapable de me projeter au lendemain. Tout cela, bien sûr, sans savoir aprécier l'instant présent.
Alors, j'ai décidé de franchir ce pas, que je savais depuis toujours inéluctable : consulter. Ce mot sobre signifiait, aller voir une psy, et j'ai fait pendant deux ans une analyse. J'en ai remué du fumier ! Parfois sortant heureuse de m'être délestée de certains poids, parfois déculpabilisant de choses dont j'étais en fait la victime, parfois en larme, me rendant compte de l'autodestruction que j'avais pu faire.
Et puis cette psy, c'était bizarre. A part des "hum", des "oui", des "avez-vous entendu ce que vous venez de dire", des "on s'arrête là pour aujourd'hui", parfois même au bout de dix minutes, aucun mot ne sortait de sa bouche, aucune expression ne transparaissait de son visage.
J'ai vu son ventre s'arrondir. Un congé maternité se profilait.
Parallèlement, moi, je m'enfonçais. Toute cette énergie pour se reconstruire était mélée de successions d'épreuves et d'échecs dans ma vie.
Un jour, il y a eu un point culminant. Que, aujourd'hui je m'en rends compte, j'ai provoqué. Avais-je tord ou raison ? Je ne pourrais de toutes façons pas refaire l'histoire et quoi qu'il en soit, je ne pouvais agir que comme ça à ce moment. Le démon qui me hante, je l'ai fait surgir : l'homme que j'aimais m'a abandonné. Ce fut le déclancheur.
J'ai pleuré des jours et des jours. Je n'arrivais plus à faire autre chose que pleurer, rester cloîtrée chez moi et même les sorties de Monsieur Chien étaient une épreuve, de peur de croiser quelque regard.
Et on m'a donné un coup de pied au derrière. Le mot "dépression" a enfin été prononcé. Et je l'ai intégré. C'était bien ça.
J'ai lutté encore quelques jours avant d'appeler un psychiatre, mon analyste refusant de m'aider, refusant de me voir, malgré mes appels au secours, m'enfoncer inéluctablement. La psychiatre que j'avais appelé avait une voix douce, m'a reçu en urgence, m'a déculpabilisée (parce qu'en plus je culpabilisais de ne plus pouvoir me montrer forte) et m'a expliqué qu'il s'agissait bien là d'une maladie.
J'aurais tellement voulu me passer de médicaments. J'avais une mauvaise opinion des antidépresseurs. Mais à ce moment-là, je savais que ma survie passait par là.
C'était il y a deux ans maintenant. Je remonte la pente. En fait, je suis partagée par rapport à cette période. D'une part, j'ai pris conscience de la capacité d'autodestruction que j'ai, que cela joue sur le physique, que j'ai pris des risques avec ma vie et sais maintenant détecter les signaux d'alarme. D'autre part, cela m'a permis de retirer une grosse couche de carapace, d'arrêter de mettre ce masque tout le temps qui était tellement là, que j'en avais oublié qui je suis. Et par ailleurs, cette pente que je remonte jour après jour, c'est moi qui le fait, et c'est une fierté de savoir que j'ai cette force vitale. Quand je me retourne et vois le chemin parcouru, cela me donne confiance encore plus en l'avenir. Après avoir déblayé la plus part des cailloux qui jonchaient dans mon jardin, après le néant de cette terre bien pauvre, je vois aujourd'hui des bourgeons commencer à s'épanouir. Et c'est tellement beau !
Les médicaments ? Je n'aime pas en faire un sujet tabou. Même si ça gène, c'est moi aussi. Ils ont été, et sont encore, une béquille nécessaire qui me permettent encore aujourd'hui de me lever tous les matins, d'être heureuse en sortant un pied du lit et de construire ma vie un petit peu chaque jour.
Je ne pensais pas que j'en aurais besoin aussi longtemps. Naïvement, et avec prétention, je pensais que ce serait l'affaire de quelques semaines voire de quelques mois.
J'ai même, par deux fois, tenté d'arrêter comme ça, du jour au lendemain, voulant me défaire de cette dépendance. Et puis non, ce n'est pas possible actuellement. Ils m'aident à avoir de l'énergie dans cette construction. Et quand je sentirai ma maison suffisamment solide, tout se fera naturellement.
Alors tout à l'heure, je suis allée chercher mes deux boîtes, celle de la gélule blanche et jaune et celle des petites pilules bleues. La pharmacienne s'est emmêlé les pinceaux avec la posologie. Ça a duré un temps infini. En même temps, je cherchais sur le présentoire une brosse à dent bleue à poils durs ! J'ai eu du mal à la trouver celle-ci (c'est que je suis encore bien bornée, je ne voulais pas la rose, et la verte encore moins !). Elle m'a donné des boîtes à foison. Je voudrais me faire un lavage d'estomac qu'elle ne se s'y serait pas mieux pris. Se rendait-elle compte à quel point c'est dangereux ce qu'elle faisait ? Et puis, elle était intriguée parce qu'un jour, j'ai acheté en même temps un autre médicament, pour les vertiges, et elle ne comprenait pas le rapport. Je commençais sérieusement à m'impatienter. Enfin elle me demande ma carte vitale et ma carte bleue. J'avais bien mis la brosse à dents devant son nez, en évidence. Elle commençait à paniquer sérieusement. Elle me tend un petit sac plastic. Je tape mon code et la voit avec un sourire de façade. Presque soulagée de me voir partir, elle me souhaite une bonne soirée.
Je tourne les talons, sors de l'officine et d'un sourire je me dis que je n'ai pas payé cette brosse à dents et qu'en plus, je ne culpabilise pas !